Si vous avez suivi les lancements de vélos ces derniers mois, la tendance ne vous aura pas échappé : les gammes fusionnent. Le Trek Émonda ? Disparu, avalé par le nouveau Madone Gen 8. Le Specialized Venge ? Enterré par le Tarmac SL8. Dans le peloton professionnel, la distinction entre vélo aéro et vélo de montagne s’efface progressivement. Faut-il pour autant en conclure, comme le proclament certains observateurs, que le vélo de grimpeur est mort ?
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L’argument mathématique : l’aéro roi, même en montée
Quand on pense à la montagne, on pense aux coureurs maigres, sur un cadre aux tubes ronds, avec des roues les plus légères possibles, cherchant à gagner le moindre gramme pour s’envoler dès que la pente dépasse les 7%. Pourtant, regardez Tadej Pogačar ou Jonas Vingegaard sur le dernier Tour de France. Leurs vélos ? Des machines aéro aux tubes profiles, aux jantes hautes. Le constat est brutal : le vélo de montagne à l’ancienne, qui sacrifiait tout à la balance, n’a plus sa place au plus haut niveau. Pourquoi ?
Le point de départ de cette mutation est purement physique. Pendant longtemps, on a cru que l’aérodynamisme ne comptait que sur le plat ou en descente. Or, les études récentes et les simulations CFD (mécanique des fluides numérique) prouvent le contraire.
La résistance de l’air augmente avec le carré de la vitesse. Pour un cycliste amateur grimpant l’Alpe d’Huez à 12 km/h, le poids reste l’ennemi numéro un. Mais pour un pro qui monte le Col de la Loze à 22 ou 23 km/h de moyenne (et souvent bien plus sur les portions roulantes), l’équation change. À ces vitesses, la traînée aérodynamique représente encore une part significative de la résistance totale, bien plus que les frottements mécaniques.

Sur une étape de montagne typique, le gain de watts offert par un cadre aéro compense largement la pénalité de quelques centaines de grammes. Pire (ou mieux, selon le point de vue), sur une étape de 4 heures avant d’arriver au pied du col final, un vélo aéro aura permis au coureur d’économiser une énergie précieuse simplement pour rester dans les roues.
C’est ainsi que Tadej Pogacar préfère utiliser son Colnago Y1RS plutôt que le V5RS, largement plus léger. Idem pour Jonas Vingegaard qui n’a pas quitté son Cervélo S5 des 3 semaines de course.
Le coupable idéal : la limite UCI de 6,8 kg
Cependant, l’argument de la vitesse ne suffit pas. Si les vélos aéro pesaient 9 kg, les grimpeurs choisiraient encore les vélos légers. Le véritable tueur du vélo de montagne en compétition, c’est le règlement de l’Union Cycliste Internationale (UCI).
Depuis l’an 2000, le poids minimal d’un vélo en compétition est fixé à 6,8 kg. C’est ici que le paradoxe technologique intervient. Avec les progrès des fibres de carbone (trames haut module, résines avancées) et des composants, les fabricants sont aujourd’hui en mesure de construire un vélo à freinage disque autour de 5,8 kg ou 6 kg, sans négliger la sécurité pour autant. Mais à quoi bon ? Si vous construisez un vélo de 6 kg pour un pro, vous devez le lester de 800 grammes de plomb pour qu’il soit légal au départ de la course.
Les marques ont donc fait le calcul suivant : si nous sommes bloqués à 6,8 kg, autant utiliser cette matière disponible pour créer des formes aéro qui font économiser des watts aux cyclistes. C’est notamment la genèse du nouveau Trek Madone Gen 8 ou du Specialized Tarmac SL8. Ces vélos atteignent la limite de poids UCI tout en offrant des performances aérodynamiques proches des purs vélos de sprint d’il y a cinq ans.
Dans ce contexte réglementaire, le vélo pure grimpeur non-aéro est une aberration technique : il est sous-optimisé. Il n’offre aucun avantage de poids (puisqu’il est limité) et souffre d’un désavantage aéro.

La fusion des gammes : le vélo à tout faire
C’est ce qui explique l’évolution commerciale actuelle. Specialized a ouvert la voie en tuant le Venge (pur aéro) pour ne garder que le Tarmac (polyvalent). Trek a récemment fusionné ses gammes : l’Émonda (grimpeur) n’est plus, remplacé par un Madone allégé qui se veut le vélo performant unique. Colnago a développé le Y1RS, qui s’avère être massivement utilisé par les coureurs d’UAE, quel que soit le terrain, au détriment du V5RS.
Pourquoi le vélo de montagne n’est PAS mort pour vous ?
Cependant, et c’est là qu’il faut contredire la vision purement orientée autour du cyclisme de compétition, décréter la mort du vélo de grimpeur serait une erreur si l’on regarde au-delà du peloton professionnel. Pour le cycliste passionné, le lecteur de Velotech.fr, la réalité est plus nuancée.
Le facteur poids/prix
Atteindre 6,8 kg avec un cadre aéro nécessite du carbone très haut de gamme et des composants tout aussi onéreux. Un Colnago Y1RS ou un Pinarello Dogma F approchent les 14 000€ dans leurs versions les plus légères. À l’inverse, un vélo de conception plus classique (tubes plus ronds, moins de matière) permet d’atteindre un poids plume pour un budget bien moindre. Un Scott RC 20 (pesé à 7.3kg) reste plus accessible financièrement pour chasser le poids qu’un Foil RC. Le vélo de grimpeur survit donc en tant qu’option performance accessible, notamment si vous visez les cyclosportives de montagne.

La sensation vs la performance
Rouler sur un vélo ultra-aéro, très rigide, aux tubes profilés, procure une sensation de vitesse indéniable, mais parfois aseptisée. À l’opposé, prenez à nouveau le Scott Addict. Ce vélo est l’anti-thèse de la tendance actuelle : tubes ronds, peu d’aéro… mais un poids de 6,1kg et une réactivité incroyable. Il n’est pas fait pour gagner le Tour (il serait illégal ou trop lent sur le plat), mais il offre un plaisir de pilotage en danseuse que les vélos aéro, souvent plus rigides de l’avant, peinent à reproduire. Pour l’amateur qui ne roule pas à 45 km/h de moyenne, la vivacité d’un vélo léger est souvent plus appréciable que les 12 watts économisés à 40 km/h qu’il n’atteindra que rarement.
Les forts pourcentages
Enfin, la physique a ses limites. Sur des pentes à deux chiffres (10% et plus), la vitesse chute drastiquement (souvent sous les 15 km/h pour le commun des mortels). Ici, la gravité reprend ses droits absolus sur l’aérodynamisme. Pour le cyclosportif qui vise l’Étape du Tour ou la Marmotte, un vélo optimisé pour la gravité conserve tout son sens, surtout si le pilote ne développe pas 400 watts de FTP.
Une mutation plus qu’une fin
Le vélo de montagne n’est pas mort, il a muté. Au niveau professionnel, il a fusionné avec le vélo aéro pour devenir une machine de guerre totale, dictée par la limite des 6,8 kg. Mais pour nous, pratiquants, une scission intéressante s’opère. D’un côté, les superbike de course qui font tout (chers et ultra-performants). De l’autre, une résurgence possible de vélos plaisir, focalisés sur la légèreté, la simplicité mécanique et les sensations de pilotage, libérés des carcans de la performance aéro absolue.















